CHAPITRE 8
Le signal de l’attaque n’a pas encore été donné, et je sens déjà un truc très étrange. Si je me suis adressée au Dr Seter et à son fils, c’est parce que je savais que je n’étais pas prête, physiquement et émotionnellement, à régler son compte à Kalika. Elle est trop forte pour moi, et puis je n’arrive pas à imaginer que je puisse lui faire du mal. Tout ce que je voulais, c’était lui envoyer une vingtaine de personnes armées jusqu’aux dents, et attendre qu’on m’envoie un compte rendu victorieux. Votre fille est morte, la démocratie peut prospérer en paix. Mais voilà que la Suzama Society se révèle être beaucoup plus qu’une vingtaine de mercenaires. Je devrais être rassurée de constater qu’ils sont mieux préparés que je ne l’escomptais, pourtant, c’est le contraire, à mon grand étonnement.
Je me trouve actuellement dans la suite 3670, dans le bâtiment situé de l’autre côté de la rue, en face de l’immeuble de Kalika. Entre ma fille et moi, le bitume d’Olympic Boulevard, pratiquement désert – il est trois heures du matin. À côté de moi, le Dr Seter, Seymour, James, ainsi que deux tireurs d’élite armés de fusils à lunettes dernier cri, avec visée laser. Ces derniers ont pratiqué dans une vitre une ouverture circulaire, et leurs armes sont pointées sur les fenêtres de la suite de Kalika, qu’on distingue à peine – nous nous trouvons dix-huit étages plus haut… Tous les stores sont baissés, ce qui diminue d’autant notre champ de vision, mais nous avons une vue magnifique sur les deux balcons, ainsi que sur la piscine qui s’étale au pied de la tour. On voit aussi très bien le toit du bâtiment. Et c’est justement le toit que je fixe, tout en continuant à m’angoisser.
Le Dr Seter et son fils n’ont pas rassemblé dans leur secte de dangereux fanatiques à qui ils ont enseigné le maniement des armes lourdes, au contraire : ils ont réussi à former l’équivalent de commandos militaires, qu’ils ont soumis à un entraînement intense. La façon dont ils ont entrepris d’encercler Kalika m’épate, c’est vrai. Par rapport à l’attaque que j’avais subie de la part du FBI et du LAPD, qui avaient joint leurs forces pour l’occasion, celle-ci est à la fois mieux coordonnée, et stratégiquement plus cohérente.
Deux unités sont à l’œuvre ; Alpha Top et Alpha Bottom. À grands renforts de cordes et de poulies, Alpha Top a réussi à grimper jusqu’au sommet de la tour, et Alpha Bottom est déjà dans l’appartement de Kalika. À en croire les bulletins que la radio déverse, le commando aurait neutralisé les gardes chargés de la sécurité. Alpha Top et Alpha Bottom comptent chacun dix membres, des garçons et des filles vêtus d’un uniforme noir. Ils portent des lunettes à infrarouge, des masques à gaz, et chacun d’eux transporte aussi un petit lance-roquettes. J’avoue que je n’ai pas la moindre idée de la provenance de tout cet équipement.
L’équipe d’Alpha Top finit de se rassembler sur le toit de la tour.
— Comment vont-ils descendre jusqu’au balcon de Kalika ? dis-je à James en lui montrant les silhouettes sur le toit, de l’autre côté d’Olympic Boulevard. En noir lui aussi, l’air passablement excité, James serre dans sa main un émetteur-radio. On dirait qu’il adore jouer au petit soldat. Notre équipée me paraît étrange, certes, mais je sais pourtant que c’est moi qui ai tout manigancé – enfin, je crois…
— Exactement comme ils sont montés sur le toit, me répond James. On en fera descendre six avant l’attaque, trois sur chaque balcon. Nous attendrons que tout le monde soit en place pour donner l’assaut. Pourquoi cette question ?
— Elle se rendra compte tout de suite qu’ils sont sur le balcon, dis-je.
James observe l’objectif à la jumelle.
— Nous avons tout lieu de croire qu’elle est en train de dormir.
— À votre place, je n’y croirais pas trop… suggère Seymour.
— Il faut lui laisser une chance de coopérer, déclare solennellement le Dr Seter pour la dixième fois. Le Dr Seter est censé diriger la Suzama Society, mais je me rends bien compte que les deux commandos d’assaut sont sous les ordres de James, et de lui seul.
— On va lui donner toutes les chances qu’elle mérite, s’écrie James, avant de lancer dans sa radio :
— Alpha Bottom, ici QG. Vous êtes toujours près des ascenseurs, étage dix-huit ? À vous.
— QG, ici Alpha Bottom. Affirmatif. À vous.
— Alpha Bottom, ici QG. Alpha Top va investir les balcons d’une seconde à l’autre. Dès que je vous en donnerai l’ordre, foncez vers l’appartement 1821. À vous.
— QG, ici Alpha Bottom. Bien reçu. Nous attendons vos ordres.
James pointe ses jumelles vers le commando groupé sur le toit de la tour, puis il reprend l’émetteur radio.
— Alpha Top, ici QG. Vous êtes certain que Kalika ne se trouve ni dans le salon ni dans la cuisine ?
— QG, ici Alpha Top. Nous n’avons pas détecté la moindre activité dans la cuisine ni dans le salon. À vous.
— Alpha Top, les filins sont en place ? À vous.
— QG, nous sommes prêts à descendre. À vous.
— Alpha Top, ici QG. Commencez la descente, et restez sur les balcons jusqu’à nouvel ordre. À vous.
— Compris, QG. Message reçu.
Je regarde James.
— Vous me semblez tous parfaitement organisés.
Il sourit.
— On dirait que ça vous déçoit.
James n’a pas tout à fait tort. Personnellement, j’ai toujours eu un faible pour les dilettantes. À les voir ainsi commencer les manœuvres d’encerclement autour de Kalika, j’en suis malade. Je ne cesse de me répéter que les réactions de Kalika sont totalement imprévisibles, et qu’il faudra que les combattants fassent preuve de la plus grande prudence. Le Dr Seter pose la main sur mon bras.
— Nous nous entraînons depuis longtemps en prévision d’une telle attaque, me dit-il. Mais je vous jure que nous n’ouvrirons pas le feu, et si elle le désire, elle pourra se rendre.
Je secoue la tête.
— Elle ne se rendra jamais.
Trois par trois, les membres d’Alpha Top descendent du toit en varappe, glissant vers les balcons de l’appartement. En quelques secondes, ils atteignent leur objectif, puis ils retirent aussitôt leur baudrier. Chaque combattant est armé, et en plus d’un récepteur-radio dans l’oreille, il est également équipé de lunettes à infrarouge. La voix du responsable d’Alpha Top grésille dans la radio de James.
— QG, nous sommes en position. À vous.
— Il a tort de parler, dis-je à James. Elle va l’entendre. Répétez-leur qu’ils doivent se tenir prêts à subir une attaque de Kalika à tout moment. Maintenant, par exemple. Dites-leur de sortir leur arme. Elle peut leur tomber dessus n’importe quand.
James m’ignore complètement. Au lieu de m’écouter, il parle encore dans sa radio.
— Alpha Top, ici QG. Tenez-vous prêts. L’attaque est imminente. À vous.
L’angle du bâtiment empêche les deux commandos de communiquer visuellement – une faille majeure dans la stratégie adoptée. Au contraire, ils devraient savoir en permanence ce que les autres sont en train de faire. Le système des radios n’est pas assez rapide, mais James persiste à aboyer des ordres dans son émetteur.
— Alpha Bottom, ici QG. Avancez en direction de l’appartement 1821. Alpha Top est déjà en position sur les balcons. À vous.
— QG, ici Alpha Bottom. Compris. À vous.
Les dix d’Alpha Bottom vont se marcher dessus en se déplaçant dans le couloir. Faisant remarquer ce détail à James, je lui suggère d’en retenir quelques-uns à proximité des ascenseurs. D’un geste agacé, il repousse ma proposition.
— Ils savent ce qu’ils ont à faire, me dit-il. Et croyez-moi, ils ne risquent pas de se tirer dessus par inadvertance.
— James, vous ignorez à quelle vitesse elle est capable de bouger. Plus vos hommes auront de place, et plus ils auront de chances d’avoir un bon angle de tir.
— Attention, me prévient le Dr Seter. Je tiens à ce qu’Alpha Bottom frappe à la porte avant d’entrer. Il faut avertir Kalika qu’elle est encerclée et qu’il lui est impossible de s’enfuir.
— Sauf que Kalika ne raisonne pas du tout comme ça. Pour elle, rien n’est impossible, grommelle Seymour. Frapper à la porte, c’est une très mauvaise idée.
James pose sur moi un regard interrogateur.
— Vous êtes d’accord avec lui ?
J’imagine le corps de Kalika, criblée de balles pendant son sommeil.
— Oui, je suis d’accord avec Seymour.
Soutenant le regard du Dr Seter, je poursuis :
— Il serait complètement inutile de vouloir parlementer avec elle. Franchement.
Le Dr Seter s’agite.
— Mais alors, nous nous apprêtons à commettre un meurtre prémédité !
— Moi, je pense qu’il faut suivre les conseils d’Alisa, déclare James. Sans laisser à quiconque le temps de protester, il lance dans sa radio :
— Alpha Top et Alpha Bottom, ici QG. Le compte à rebours vient de démarrer : cinq… quatre… trois…
James n’a pas le temps de finir de compter.
Un hurlement retentit.
On l’entend dans la radio, et aussi de l’autre côté d’Olympic Boulevard.
En contrebas, face à nous, l’un des deux balcons est vide – aucune trace du commando. Par contre, Kalika est là, la masse sombre de ses longs cheveux tranchant sur sa robe blanche. Plus bas, trois individus vêtus de noir sont en train de se rapprocher de l’immense piscine. Le terme se rapprocher n’est pas très bien choisi ; en fait, les trois combattants de la Suzama Society sont en train de choir vers une mort inévitable, et ils ne peuvent l’ignorer. Ce ne sont pas les quelques dizaines de centimètres d’eau dans le bassin qui vont amortir leur chute. Leurs hurlements de terreur font vibrer l’air environnant, et je me mets à crier aussi. Comment ai-je pu croire que Kalika allait tranquillement attendre qu’on vienne l’assassiner dans son lit ?
Les corps heurtent violemment la surface de l’eau, pour s’écraser au fond de la piscine. Les crânes explosent, les os se brisent, et comme la piscine est bien éclairée, on voit nettement la masse bleue de l’eau se teinter de rouge en quelques secondes. Soudain, c’est le silence. Je me tourne vers James.
— Stoppez l’attaque ! Rappelez les commandos ! S’ils se retirent, elle leur laissera peut-être la vie sauve !
Horrifié, James ne peut détacher son regard de l’eau rouge de la piscine.
— C’est incroyable… gémit-il.
Je l’attrape par le bras.
— Je me suis trompée ! Personne ne peut affronter Kalika ! Dites-leur de revenir !
Les sourcils froncés, il me toise.
— Pas question. L’attaque vient à peine de commencer.
Et il donne une petite tape sur l’épaule de l’un des deux tireurs d’élite accroupis devant lui.
— Ouvrez le feu !
Les balles ricochent sur la balustrade du balcon. Kalika se retire à l’intérieur de l’appartement.
— Alpha Top ! hurle James, la bouche plaquée contre l’émetteur-radio. Attention, elle arrive !
Non, James se trompe, lui aussi : Kalika est déjà sur l’autre balcon. Avant qu’il n’ait fini sa phrase, elle fonce droit sur le second commando. En fait, je suis la seule à pouvoir suivre distinctement les gestes et les déplacements de Kalika. Tout près de la porte du balcon, une femme à la longue chevelure rousse s’est figée : Kalika s’en empare et soudain, elle lui tord le cou. Littéralement. Se saisissant de l’arme que sa victime vient de lâcher, elle tire aussitôt sur les deux autres membres du commando. Touché en plein visage, le crâne explosé, le premier passe par-dessus la rambarde et s’écrase sur le trottoir, dix-huit étages plus bas. L’autre, un petit brun trapu, s’affaisse et meurt sans un mot. Avant que les deux tireurs d’élite puissent aligner dans leur mire l’autre balcon, Kalika disparaît à l’intérieur. James, lui, s’acharne sur son émetteur-radio.
— Alpha Bottom ! hurle-t-il. Passez à l’attaque !
— Qu’est-il arrivé à Alpha Top ? demande le gars d’Alpha Bottom, d’une voix anxieuse.
— L’attaque du premier balcon a foiré ! s’écrie lames, qui ne s’embarrasse plus des à vous ! et autres bien reçu ! L’heure n’est plus à ce genre de formalités.
— Elle est à l’intérieur ! Abattez-la !
— Dites-leur qu’elle est armée, dis-je.
— Elle est armée ! répète James. Alpha Top, descendez sur les balcons, vite ! Alpha Bottom entre dans l’appartement !
Là-haut, les quatre jeunes gens font leur possible pour essayer de voir ce qui se passe plus bas. De là où ils se trouvent, ils ont une vue imprenable sur les cadavres qui flottent dans la piscine… Et sur celui qui gît sur le trottoir… Alpha Top n’a vraiment plus envie d’aller nulle part, et moi, je voudrais même qu’ils battent en retraite le plus vite possible. Ils courent de graves dangers rien qu’en restant perchés sur le toit.
— Il faut tout arrêter ! crie le Dr Seter, livide. Alisa a raison ! Nous devons protéger nos propres troupes !
La radio grésille furieusement.
Alpha Bottom est en train de crever.
Ils ont fait irruption dans l’appartement de Kalika, violant son espace vital, et on entend des coups de feu, des bruits de chairs arrachées et de sang qui gicle, d’os qui se fracturent. Et par-dessus cet horrible vacarme, les éclats de rire de Kalika. Nul ne peut l’arrêter, et elle le sait. Et je comprends alors qu’elle m’a menée en bateau depuis le début. Kalika m’a tendu un piège, et j’ai foncé. Seymour avait raison : elle s’est débrouillée pour que je parvienne à localiser son appartement, en me laissant croire qu’elle n’y était pour rien. Elle savait que j’aurais besoin d’aide, et comme elle n’apprécie pas du tout la Suzama Society, elle a trouvé que c’était une excellente occasion de s’en débarrasser. Soudain, une femme se met à gémir, suppliant Kalika de l’épargner : pour toute réponse, j’entends alors le bruit d’un corps brutalement projeté contre un mur. La main serrée sur son émetteur-radio, James tremble de tous ses membres.
— Alpha Top ! hurle-t-il. Portez-vous au secours des autres !
Mais les quatre jeunes gens installés sur le toit, après avoir échangé des regards inquiets, secouent la tête d’un air résolu. Ils auraient plutôt intérêt à quitter leur perchoir, mais apparemment, ils ont décidé qu’ils étaient en sécurité : malgré les hurlements, ils ne font pas mine de bouger. Mais la femme finit par se taire, les coups de feu cessent de retentir, et j’arrache la radio des mains de James.
— Alpha Top, dis-je calmement. Elle sait que vous êtes là. Essayez de repartir comme vous êtes venus, et n’attendez pas qu’elle vienne vous chercher. Je vous en prie, écoutez bien ce que je vous dis : entrez dans la tour en passant par le dix-neuvième étage, et foncez dans l’ascenseur. Vous avez encore le temps de vous en tirer.
Mais les jeunes gaspillent le peu de temps qu’il leur reste. De loin, on a l’impression qu’ils perdent de précieuses minutes en discutant vainement. C’est plus qu’il n’en faut à Kalika, dont la tête apparaît soudain au bord du toit. En la voyant, ils ont trop peur pour même songer à la mettre en joue. Kalika, dont la robe blanche est rouge de sang, finit de grimper sur le toit, et ce qui reste d’Alpha Top recule lentement, tentant vainement de lui échapper. Même les tireurs d’élite installés à nos pieds contemplent la scène bouche bée. James se charge de les rappeler à l’ordre.
— Tire ! crie-t-il à l’un d’eux en lui assénant un coup sur la tête. Cette fois, tu ne peux pas la rater !
Mais avec ma fille, rien n’est facile. Tandis qu’une halle ricoche à ses pieds, elle bondit vers les jeunes gens, se saisissant de l’un d’eux pour s’en servir comme d’un bouclier humain. Paralysés par la peur, les trois autres ne mouftent pas, mais Kalika ne les regarde déjà plus. Elle s’est tournée vers nous. Les tireurs d’élite cessent le feu, et James pique sa crise.
— N’arrêtez pas de tirer ! hurle-t-il. Tuez-la !
— Mais on risque d’atteindre Charles, proteste l’un des tireurs d’élite.
— Mon Dieu, je n’en crois pas mes yeux… gémit le Dr Seter.
Brutalement, James pousse le protestataire.
— Donnez-moi votre arme !
J’interviens aussitôt.
— Laissez-moi faire, James, lui dis-je calmement.
Il me foudroie du regard.
— Qu’est-ce que vous connaissez aux armes ?
— Justement, c’est son rayon, lance Seymour.
Furieux, James me cède la place.
— Essayez de ne pas rater la cible, ajoute-t-il d’un ton amer.
M’agenouillant à mon tour derrière le fusil, je regarde à travers la lunette. Kalika est relativement immobile, mais elle serre son otage contre elle, et seul son visage est visible au-dessus de l’épaule droite du jeune homme. Le point rouge du laser facilite grandement le tir, même pour quelqu’un comme moi, capable d’atteindre une cible placée à trois kilomètres – à condition que j’aie l’arme adéquate, bien sûr. Pendant quelques instants, le point rouge se trouve exactement au milieu du front de Kalika, et mon doigt se crispe sur la détente. J’ai les mains moites. Il suffit que je loge une balle dans la tête de Kalika pour transformer le ratage de l’opération en une victoire éclatante, du moins en ce qui concerne l’avenir de la planète.
Mais voilà que mon regard croise celui de Kalika, et ma résolution faiblit. J’ai l’impression qu’elle me fixe. Inutile d’essayer de me persuader du contraire : Kalika connaît l’identité de ceux qui l’ont attaquée, c’est évident. D’ailleurs, on dirait que ça l’amuse, parce qu’elle sourit, d’un air lointain. Ses lèvres articulent un mot, que je comprends sans avoir besoin de l’entendre.
— Maman.
Je suis momentanément déconcentrée, et Kalika en profite pour échapper au point rouge du laser. Décollant mon œil de la lunette, je la regarde qui se débarrasse de son bouclier humain en le jetant tout droit dans la piscine – elle trouve peut-être que tous ces gens qui tombent en hurlant dans l’eau ensanglantée offrent un spectacle amusant et gratuit.
Puis elle s’en prend aux trois autres, se saisissant d’abord de deux d’entre eux, qu’elle tue aussitôt en leur fracassant le crâne l’un contre l’autre. Les corps inertes qui s’affaissent sur le sol sont méconnaissables – il y a des bouts de cervelle jusque sur leurs chaussures. Puis Kalika s’approche du dernier membre encore vivant d’Alpha Top, que j’identifie immédiatement. C’est Lisa, la comptable originaire du Dakota dont j’ai fait la connaissance hier. Terrorisée, Lisa recule afin d’échapper à ma fille, et soudain, sous ses pieds, le vide. Kalika ne la laisse pas tomber du toit et la rattrape de justesse. James se met à hurler.
— Allez-y ! Tirez ! s’époumone-t-il.
Je repousse le fusil à lunette.
— Pas question. Je ne veux pas tuer Lisa.
— Mais Lisa ne s’en sortira pas vivante ! me crie-t-il. Tirez !
Telle une araignée rapportant sur sa toile l’insecte qu’elle va dévorer, Kalika disparaît avec sa proie. À l’exception de deux cadavres – virtuellement décapités – le toit de la tour est désert, à présent.
Je me relève, et après avoir jeté un coup d’œil sur mes compagnons, je déclare :
— Restez ici, je vais aller lui parler.
Le Dr Seter agrippe mon bras.
— Mon enfant, non, n’y allez pas. Ils ont tous été massacrés.
Gentiment, j’ôte la main du Dr Seter.
— La responsable, c’est moi.
Et j’ajoute en regardant Seymour :
— Je dois y aller.
Seymour est atterré par ma décision.
— Franchement, Alisa, tu n’as aucun intérêt à aller là-bas.
— C’est probablement le plus bel euphémisme de l’année, lui dis-je en souriant.